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     Mohamed se présenta devant la porte de l'appartement de Valérian et sonna. Pas de réponse, alors, il toqua à la porte trois ou quatre fois, sans plus de succès.
     Il colla son oreille contre le bois bien défraîchi de la porte d'entrée munie d'un judas et se dit:   " Pourtant, je ne rêve pas, j'entends du bruit à l'intérieur... Pourquoi il ne répond pas ? "
     Il s'acharna encore quelques minutes à sonner et à frapper contre la porte d'entrée de Valérian et s'apprêtait à partir lorsque, machinalement, il posa sa main sur la poignée qui s'abaissa, et à sa grande surprise..., la porte tourna sur ses gonds. " ...Pas prudent ça ", pensa t-il. Il devrait toujours faire un tour de clef."
     Timidement, Mohamed passa la tête à l'entrebaîllement et appela:
- Ohé ! Y'a quelqu'un ? Valérian ! C'est Mohamed ! Ton collègue de travail !
     Toujours pas de réponse. Ce dernier était perplexe, parce que l'appartement paraissait vide et cependant la télévision était allumée. Valérian s'était-il endormi devant ? Il devait en avoir le cœur net.
     Hésitant, il entra  (il se dit que ce serait très ennuyeux si on le prenait pour un cambrioleur) et commença à faire le tour des pièces. Lorsqu'il pénétra dans le salon, il découvrit Valérian qui effectivement avait l'air de s'être assoupi devant la télé, mais il était étendu... au pied de son clic-clac contre un guéridon sur lequel de petites figurines de karatékas toutes debout étaient exposées.


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     Inquiet, Mohamed s'accroupit à côté de lui et tout en l'appelant, le poussa doucement par l'épaule.
     Valérian gémit un peu, sans plus.
     En l'examinant plus attentivement, Mohamed distingua des ecchymoses sur ses bras et son visage qui était d'une pâleur inquiétante. Il se releva d'un bond, courut à la cuisine, se saisit de la première loque venue qu'il passa sous l'eau fraîche du robinet et revint au chevet de Valérian. Lorsqu'il passa le torchon humidifié sur son front, le jeune homme tressaillit et, lentement, refit surface.
     D'abord, il cligna des paupières et l'œil vitreux, hagard, fixa le plafond. Puis il promena un regard fiévreux alentours cherchant à distinguer quelque chose au milieu de toutes ces ombres et ces flashs lumineux qui vrillaient son pauvre cerveau qui tentait péniblement de reprendre le dessus.
- Et bien mon pauvre vieux, murmura Mohamed, ça n'a pas l'air d'aller très fort... On dirait que tu es passé sous un rouleau compresseur.
     Valérian sortait lentement de sa léthargie et lorsqu'il discerna vaguement le visage qui était penché au dessus de lui, il marmonna d'un ton comateux en gesticulant mollement des bras, tant et si bien qu'il finit par se flanquer bien involontairement une baffe:
- Sa... sa... lut... Je v... ais tr...ès bi...en. Ju...ste..., un peu fa...ti...gué... Tu...tu vi...ens pour la re...lève ? Dé... déso...lé. Je crois... que... je me... suis endor...mi...
- On est pas au conservatoire... Je suis chez toi, dans ton salon. Bientôt trois jours qu'on est sans nouvelles de toi.
Dans un râle, Valérian répondit:
- Ah... ahaaaaa... (qui se termina dans un râle), dans... mon... sa...loooon...ahaaaah...?
- Oui. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ? Tu es tombé sur une mauvaise bande ?  
- M'rappelle plus... Ce que... j'ai...me...rais, c'est que le sa...lon arrête de tour...ner... Pou...pourquoi il tourne ?
- Écoute, insista Mohamed, c'est dans ta tête que ça tourne et... pas rond en plus. C'est évident que tu t'es fait tabasser et il t'en reste des séquelles, peut-être un traumatisme crânien... Alors, poursuivit-il, aucun souvenir ? Vraiment ?
    Valérian fit un effort pour fouiller dans sa mémoire et après une pause, il leva péniblement la main, écarta le pouce et l'index et (in)articula tout en faisant de gros efforts pour garder les yeux ouverts:
- Un ti... ti peu... tapé... je crois...
- Je ne peux pas te laisser comme cela... J'appelle un médecin
- Non..., tenta t-il désespérément de s'exclamer. Je... je suis un peu son...né, mais ça... va... Pas malade...
- Non, pas malade. Encore que... Mais quelqu'un t'a frappé, tu ne t'en rappelais même plus, mais...
- Oui, l'interrompit Valérian, je... Pas sympa... la soirée... Un petit K.O., mais, tu...vois, je récu... cupère... vite...
- Petit K.O., tu récupères vite ! s'indigna Mohamed. Tu rigoles, ça fait deux jours quand même, que tu es aux abonnés absents !
- Deux jours... Te crois pas... C'est... pas possible...
- Deux jours te dis-je. Le conservatoire n'a pas cessé d'essayer de te joindre au téléphone.
     Valérian passa une main sur son front et sa bouche, fit aller sa mâchoire comme s'il voulait mâcher l'air et déglutit avec peine. Il avait la gorge si sèche, qu'il avait l'impression que quelqu'un lui avait enfoncé une râpe au fond de la gorge.
     Il commençait à émerger pour te bon de sa léthargie et se sentait à présent capable d'aligner trois ou quatre mots sensés et intelligibles.


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     Il demanda:
- Je ressemble à quoi ?
- Je veux pas te faire peur, mais tu as vraiment une tête de zombie...
- Alors... tu me rassures... Merci d'être passé. Maintenant, ça va aller...
- Tu plaisantes, j'espère ! rétorqua Mohamed. Je suis sûr que tu n'as même pas la force de faire trois pas...
- Si... si, je peux...
     Joignant le geste à la parole, Valérian se leva, pour s'affaler aussitôt sur le guéridon, où les statuettes chancelèrent dangereusement, mais tinrent bon, bien stables sur leur socle.
- Quelle idée de l'avoir mis au... au..., commença t-il à s'indigner.
- Au milieu du tapis, à côté du canapé ! Normal, rétorqua Mohamed. J'aurais pas fait autrement. Réalise au moins que tu n'as même pas eu la force de grimper sur ton divan.
- Ben, il..., il était trop haut...
- Une hauteur de canapé, normale quoi...!
     Il l'aida à s'asseoir, réfléchit quelques instants, puis proposa:
- D'accord, pas de docteur, mais, sois raisonnable... On est vendredi soir. Viens passer le week-end à la maison. Ma femme s'occupera de toi. Tu as sérieusement besoin de soins et de bons repas.
     En guise de réponse, Valérian lui demanda:
- Tu... tu as des enfants, toi ?
     Un peu destabilisé, Mohamed lui répondit:
- Oui... mais peu importe. Je ne vois pas le rapport avec ma proposition.
- J'en ai pas... moi... des enfants.
- ... Tu es un peu jeune... Mais calme-toi, on dirait que tu délires ou que tu es ivre... Je crois que je devrais te conduire à l'hôpital.
- Ni... ni chez toi, ni à l'hôpital, protesta Valérian.
Mohamed se fâcha:
- Tu dois boire et manger ! Tu as besoin de reprendre des forces et tu as besoin de soins ! Tu as   de graves problèmes cardiaques ! Désolé, mais je suis au courant. Ton traitement est où ? Deux jours sans le prendre... ça peut avoir des conséquences fâcheuses !
     Valérian murmura:
- Sur la tablette du buffet... dans la cuisine, le Betatop et l'autre boîte... Je sais plus le nom, un anti quelque chose...
     Mohamed fonça  à la cuisine et cria:
- Il te faut un verre d'eau. Je trouve ça où ?
- Dans le robinet... Il doit y en avoir dans le robinet, répondit Valérian le plus sérieusement du monde.
     Mohamed ne put retenir un sourire:
- Je n'y aurais pas pensé tout seul... Merci du tuyau. Je pensais: bouteille ou carafe.
- J'ai pas les moyens d'avoir des goûts de luxe, moi. Mais pourquoi tu veux me faire boire ? On fête quelque chose ? Parce que pour moi c'est trop tard... On m'a déjà fait ma fête.
     Son collègue de travail revint avec le verre d'eau et les boîtes de médicaments. D'une main encore tremblante, hésitante, Valérian libéra les comprimés du blister et les enfourna.
- Tiens, fit Mohamed, ce sera plus simple avec ça, lui assura t-il en lui tendant le verre d'eau, et ne le renverse pas.


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     Le jeune-homme s'en saisit, le liquide tangua dangereusement mais ne s'échappa pas, but à petites gorgées et eut quelques instants la respiration saccadée comme s'il suffoquait, surpris par la fraîcheur de l'eau.
     Puis d'une façon abrupte Mohamed lui demanda:
- Qu'est-ce que tu veux manger ?
- Pas faim...
- Tu dois absolument te mettre quelque chose dans l'estomac, insista Mohamed avec autorité.
- Ne t'inquiète pas, ça va aller maintenant, tenta Valérian. Tu peux partir... Merci pour tout.
     Déterminé, son collègue répondit:
- Je ne partirai pas tant que tu n'auras pas pris un bon repas.
- Ooooooh ! On ne se quitte plus alors. C'est pour quand le mariage ?
- Sois sérieux cinq minutes... T'es pas si fringuant que ça. Ton état m"inquiète vraiment.
     Avec une pointe de mauvaise humeur, Valérian répondit dans un souffle:
- Des céréales, ça ira...
- Des céréales, soupira Mohamed. Tu parles d'un repas, c'est juste bon pour les vaches et les chevaux.
- Et les cochons... Pas les cochons ? compléta Valérian taquin. Non, pas les cochons.


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     Mohamed éclata de rire, si ce dernier commençait à le charrier, c'est qu'il reprenait du poil de la bête. Il répliqua sur le même ton:
- Si tu continues, c'est un cochon en entier, que je vais te faire avaler.
- Faudra d'abord m'attraper, répondit Valérian, pour le coup, un peu présomptueux, en se levant. Bon, je vais te faire plaisir et manger.
     Il fit quelques pas en titubant. Mohamed se précipita pour l'aider, mais il déclina son offre.
- Ça va, je vais y arriver... seul. Je sens que je récupère bien, là.
     Il récupérait tellement bien, qu'il piqua plusieurs fois du nez dans son bol de céréales.


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     Entre deux bouchées, Valérian s'enquit des répercussions de son absence prolongée et non signalée au Conservatoire:
- Le chef doit pas être content...
- Forcément, je te mentirais si je te disais que ton absence le faisait sauter de joie.
- Ça va pas améliorer nos relations, cette histoire là...
- Ouais, d'autant que...
     Mohamed s'interrompit net, estimant soudain que l'instant était mal choisi pour annoncer certaines nouvelles désagréables. Comme Valérian, plongé laborieusement dans son bol de céréales n'avait pas prêté attention à son début de remarque, il corrigea le tir:
- ... Mais tes rapports professionnels ne sont pas la priorité du moment.
     Valérian leva le nez de son bol de porridge et demanda:
- C'est quoi, la priorité du moment ?
     Il força un sourire sur ses lèvres et poursuivit dans un souffle:
- Ah! oui, terminer ces flocons d'avoines.
     La dernière cuillère avalée accompagnée d'un haut-le-cœur, Valérian jeta un regard vitreux à la pendule.
- Oh! Je vais pas te retarder davantage. Il se fait tard. Ta femme va s'inquiéter.
- Tu es sûr ? s'enquit son collègue.
- Tout à fait. Et puis j'ai pris mes médicaments et j'ai mangé, alors, te voilà rassuré.
- OK ! À lundi, alors, mais si tu as le moindre souci, tu passes à l'appartement, d'accord ?
- On fait comme ça, à lundi... et merci d'être passé.
- ...Normal. Allez, et pas d'imprudences, repose-toi. Et si tu veux, on s'appelle.
- Euh... j'ai plus le téléphone. J'ai dû le rendre. Plus les moyens.
- Le conservatoire pouvait toujours essayer de t'appeler, alors...
- Je l'ai dit, sûrement que l'information n'a pas été transmise.
- Et si tu as un appel urgent à passer ?
- Une voisine, madame Fellah, m'a gentiment proposé d'utiliser son téléphone...
     Mohamed vit Valérian blémir tandis que ce dernier dut abréger les aux revoirs.
     À peine la porte s'était refermée, que le jeune homme pris de nausées se précipita aux toilettes où il renvoya son porridge.
     Derrière la porte, la main encore sur la poignée, Mohamed avait tout entendu, d'autant que les WC donnaient dans le couloir près de l'entrée. Il hésita, avant de se décider finalement à partir. Et puis il n'habitait pas loin, en cas de pépin, il serait vite là. Observer à la fenêtre: si les lumières s'allumaient et s'éteignaient, c'est que tout allait bien.


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     Valérian se redressa de la cuvette et dut s'appuyer un instant contre le chambranle de la porte des WC. Il passa une main fébrile sur son front, puis prit son pouls au niveau de sa carotide: ça cognait fort et rapidement... Trop rapidement et maintenant, il frissonnait. Il avait froid et pourtant avait les mains moites. C'était à peine si ses jambes pouvaient le porter.
    Tout à l'heure, en mangeant son porridge, il avait manqué d'air et avait eu la sensation de s'asphyxier davantage dans les vapeurs qui s'élevaient de son bol. Il avait tenté au maximum de n'en rien laisser paraître, mais l'effort avait été éprouvant.
     Toutefois, il était content que Mohamed était parti, non pas parce qu'il trouvait sa compagnie désagréable; il s'entendait plutôt bien avec lui. Mais parce qu'il se sentait terriblement las et tout le fatiguait aujourd'hui: parler, boire, manger, déplacer sa carcasse... Cependant, à présent il se disait que sa présence aurait apporté un peu de sécurité. Peut-être aurait-il dû accepter sa proposition de passer le week-end chez lui. S'il avait un malaise à présent, voire pire, seul, dans cet " appart "... Ah! cette peur stupide de déranger ou d'en rajouter et d'exagérer une situation...
     Et dire que tout à l'heure il s'était amusé à jouer les bravaches, à plaisanter avec Mohamed alors qu'il n'avait pas vraiment le cœur à ça, rien que pour donner ou se donner l'illusion que tout allait pour le mieux: la méthode coué, ou celle de l'autruche...
     Merde, c'était pas la première fois qu'il avait l'impression qu'il allait clamser et jusqu'à présent, il s'en était toujours tiré. Oui, jusqu'à présent, mais un jour...
     Cette putain de tachycardie allait bien finir par passer. Mais bordel, il était pas fier, quand même.
     S'il avait encore eu le téléphone, il aurait appelé sa mère et elle se serait inquiétée, sûrement inutilement. C'était mieux ainsi.
     C'est " marrant " comme dans ces circonstances très particulières tout ce catalogue de coups, gnons, bosses et contusions en tous genres qui ornaient son corps et qui aurait dû lui causer, à défaut d'un important traumatisme psychologique, à tout le moins une grande contrariété, ne prenait plus qu'une place insignifiante.
     Il n'allait pas s'aliter. Il avait entendu dire qu'un homme malade qui se couche est un homme qui va mourir. Il jeta une couverture sur ses épaules, s'assit dans son sofa, devant la télé éteinte, accablé, angoissé, indécis, lorsque son regard tomba sur le livre que lui avait offert Marcia quelques semaines auparavant en lui disant avec un petit air adorable:
" Tu verras, il y a une surprise pour toi dedant. "


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     Le livre en question, c'était le tome 1 des aventures de Tara Duncan: Les sortceliers.
     Les yeux pétillants, elle avait ajouté:
" J'adore cette saga, je suis une vraie taraddicte, moi. "
     Perplexe, Valérian lui avait demandé:
" Une quoi ? "
" Une fondue, une passionnée, une accro, une addicte, une " taraddicte " quoi ! des aventures de Tara Duncan ! "
     Enthousiaste, la jeune fille avait poursuivi:
" On peut même écrire à l'auteure, avec un "e" à la fin, Sophie Audouin-Mamikonian. C'est sur internet, il faut taper: le blog de Sophie Audouin et tu te retrouves entre taraddicts et parfois même avec Sophie; même qu'ELLE m'a déjà répondu personnellement ! "


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     Le jeune homme avait jeté un coup dœil au résumé au dos du livre et commis, ignorant qu'il était, un crime de lèse-majesté:
" Ah ! c'est une histoire de sorciers. "
" Mais non ! s'était-elle faussement offusquée, c'est une histoire de sortceliers ! "
" Ah ! et il y a une grande différence ? "
" É...NOR...ME, avait-elle répondu. Eux, ils lient les sorts. "
" Et les sorciers ? ", s'était-il enquis.
Pleine de mâlice, elle avait répondu:
" EUX ! ils font ce qu'ils veulent. "
     Et il se rappelait qu'ils étaient partis dans un grand éclat de rire.
     Ah ! les jours heureux...
     C'est vrai que sitôt que leurs rires s'étaient taris, soudain chagrine, elle avait dit avec dépit:
" Si j'étais une sortcelière, je t'appliquerais un reparus et tu serais guéri. "
     Hélas, dans la vraie vie, les choses n'étaient pas aussi simples que dans les livres.
     Mais le trésor le plus précieux, pour lui, se trouvait à l'intérieur de l'ouvrage. Et il se plongea dans le regard apaisant de Marcia, ses cheveux châtains serrés dans un chignon impeccable, un sourire radieux aux lèvres, costumée en splendide danseuse sévillane, sur une photo du dernier spectacle fin d'année de la classe de danse du Conservatoire National de Région d'Amiens.
     Passer dans l'autre monde perdu dans ces beaux en amande couleur noisette ne serait pas la plus désagréable des morts, mais si la Grande Faucheuse pouvait l'épargner une fois... encore...  

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Tag(s) : #Stars Knights Legend Époque 2 HISTOIRES PARALLÈLES
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