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Photos Amiens (44) Conservatoire de musique - Sortie scène

Au Conservatoire National de Région d'Amiens, la journée se terminait, il était un peu plus de vingt heures. Valérian Belmont, un étudiant de dix-huit ans qui finançait ses études avec ce job de gardien-surveillant, réglait les dernières petites tâches d'avant fermeture: il répondit aux dernières questions des élèves et parents d'élèves, aux dernières demandes des professeurs, puis entama la fermeture de l'établissement. C'est à dire faire le tour complet du Conservatoire afin de s'assurer que toutes les portes et les fenêtres étaient fermées, que toutes les lumières étaient éteintes, qu'un garnement n'avait pas laissé un robinet ouvert dans les toilettes et, surtout, qu'aucun malfaisant ne se laissait enfermer dans l'établissement. Valérian savait qu'à cette heure-ci, en principe, tous les élèves musiciens étaient partis et qu'il ne restait que les élèves retardataires du cours de danse.

Il regagnait tranquillement l'accueil quand soudain il entendit des "bloom, bloom, bloom", qui semblaient provenir du rez-de-chaussée. Il pressa le pas et découvrit au bout du couloir une petite fille de sept ou huit ans qui donnait des coups de derrière dans le distributeur de friandises. 

- Hé! cria t-il. Chloé! arrête de donner des coups de fesses dans le distributeur. Tu veux nous casser le matériel ou quoi ?

Lorsque Valérian fut à ses côtés, loin d'être intimidée, la fillette prit un air offusqué et expliqua tout en désignant du doigt le motif du délit:

- Le ressort n'a pas assez tourné... Ma barre chocolatée ne veut pas tomber...! Je suis passée à l'accueil pour le dire, mais il n'y avait personne.

Valérian jeta un coup d'oeil dans la machine et vit effectivement une barre chocolatée qui jouait les équilibristes. Il prit un air contrit et répondit:

- Oui, je vois bien..., mais le règlement intérieur dit que si une friandise ne tombe pas, elle est pour le gardien.

La petite fille mit ses mains sur ses hanches pencha la tête de côté et dit:

- Ben, vous êtes coquin vous alors... 

- Je suis quoi ? Coquin ? demanda Valérian amusé par la réflexion de Chloé.

- Oui, coquin. Vous me taquinez.

- Tu crois ?

- Ben oui... C'est l'autre surveillant qui travaille avec vous. Vous savez, celui qui ne vient jamais... C'est lui qui m'a dit que si on a un problème avec le distributeur il faut le signaler à l'accueil. Là- bas, on prend notre nom et quand le monsieur à la machine passe, il nous rend notre argent.

- Tu en es sûre ?

- Sûre.

- Oui, tu as raison, je plaisantais. Je vais voir ce que je peux faire pour toi. Mais je ne peux pas déglinguer la machine non plus. Alors, tu vas peut-être être obligée de faire régime

- Je préférerais avoir ma barre de chocolat. J'suis pas grosse, j'ai pas besoin de faire de régime.

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D'un coup d'épaule, Valérian fit tomber la friandise. Rayonnante, la petite fille s'en empara et proposa généreusement: 

- Vous en voulez la moitié ?

- Non, c'est gentil, lui répondit Valérian. Tu as bien dansé ? Allez, recharge tes batteries.   

Son avant-dernière ronde finie, confortablement installé sur le fauteuil de l'hôtesse d'accueil, Valérian commença son rapport de fermeture. Sur le cahier de liaison, il consignait toutes ses observations et les problèmes rencontrés. Concentré sur son travail, il marmonnait: "Salle percu: faite, audit: fait, bureaux: faits...", quand quelqu'un toqua à la porte vitrée. Il leva la tête et reconnut Chloé qui l'entrebâilla et passa sa frimousse.

- Oui ? fit Valérian.

- J'attends que le cours de danse de ma grande soeur se termine. C'est long, je n'ennuie. Tout le monde est parti. Je peux vous tenir compagnie ?

- Pas de problème.

- Je peux vous faire un dessin, si vous voulez.

- Tu veux de quoi dessiner ?

- Non, j'ai ce qu'il faut, merci. Je vais vous dessiner un jolie bouquet de fleurs.

- D'accord, j'aime bien les fleurs.

Tandis que la petite fille s'appliquait à dessiner et à colorier, Valérian reprit la rédaction de son rapport.

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Trois minutes plus tard, la fillette leva la tête de sa feuille, regarda Valérian plongé dans son cahier de liaison et demanda:

- Je peux vous dire quelque chose ?

Valérian leva la tête.

- Oui, bien sûr.

La petite ajouta avec un air de conspiratrice:

- Mais il faut me promettre de ne pas le répéter à ma grande soeur.

Valérian pensait que c'était un secret sans importance comme parfois les enfants aiment à confier, il assura:

- Je serai muet comme une carpe.

Alors, après s'être assurée que sa grande soeur n'arrivait pas, Chloé, avec l'innocence que confère la jeunesse, déclara:

- Daphné, hier, m'a dit qu'elle était déçue que Cristiano était parti.

- Son contrat prenait fin avec les vacances.

- Elle aurait préférait que ce soit vous qui partiez... Elle m'a dit: "C'est pas que Monsieur Belmont ne soit pas sympa, mais il est pas beau lui... Et ce Cristiano était vraiment chou !"

Une ombre passa sur le visage du jeune homme, mais la petite s'approcha pour lui dire sur le ton de la confidence:

- Moi, je suis contente que ce soit vous qui soyez resté. Je vous aime bien, vous êtes gentil.

Valérian lui adressa un sourire et Chloé se plongea à nouveau dans son dessin avant de relever la tête et de s'assurer avec un soupçon d'inquiétude dans la voix:

- Vraiment, vous ne le répèterez pas à ma soeur ?

- Promis. Secret professionnel.

Rassurée, elle retourna à sa création artistique.

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Un quart d'heure plus tard, Daphné, la grande soeur se présenta à l'accueil.

- Bonsoir Monsieur Belmont. Chloé, je te cherchais dans le couloir, gronda t-elle. J'espère que ma petite soeur ne vous a pas ennuyé. 

- Non ("petite conne", avait-il envie de compléter), répondit Valérian à Daphné, une jeune fille d'une quinzaine d'années.  

Puis il demanda: 

- Il y a encore beaucoup de monde en bas ?

- Non. Deux ou trois danseuses. Madame Pétrova a demandé à la dernière sortie de vous remettre les clefs de la salle de danse. On se sauve, maman va nous attendre. Dépêche-toi Chloé.

Chloé remit son dessin à Valérian et suivit sa soeur.

- Au revoir monsieur.

- Salut les filles et... merci pour le dessin Chloé.

- Je vous en ferai un encore plus beau, la prochaine fois.

- J'y compte bien. Allez, bon retour.

En attendant que les dernières élèves soient parties, Valérian se paya un thé chaud au distributeur tout en songeant avec regret que Brahim le faisait si bien lorsqu'il daignait bien honorer les lieux de sa présence. Enfin, une fois de plus il n'était pas là et il devrait encore se taper tout le boulot. Mais de toute façon, le mercredi cela l'arrangeait.

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Bientôt, une voix juvénile annonça:

- Il n'y a plus que Marcia monsieur... Elle ne sera plus très longue... C'est elle qui a les clefs. Bonsoir.

Tout le monde est parti, sauf Marcia, alors il ferme à clef la porte principale de l'établissement.

Valérian est heureux: Marcia l'aime, lui qui s'est toujours senti rejeté par les filles et qui se trouve un physique si quelconque, avec son infirmité oculaire... Pour la première fois de sa vie, il s'est trouvé beau dans les yeux d'une fille. Alors, il la rejoint dans les vestiaires et lorsqu'elle l'aperçoit, une superbe jeune fille de seize ans aux longs cheveux châtains et aux yeux rieurs en amandes couleur noisette se jette dans ses bras. Ils se chuchotent des mots doux, s'enlacent et s'embrassent tendrement. De longs instants magiques, mais, cependant, toujours trop courts, hélas.

Au bout d'un moment, la jeune fille jette un coup d'oeil sur sa montre, prend un petit air effaré emprunt de dépit et susurre doucement à l'oreille de Valérian comme pour s'excuser et le consoler, avant de s'arracher comme à regret de son étreinte. Avec grâce, aérienne dans sa jupe légère, elle remonte l'escalier du sous-sol en devisant gaiement. Valérian la suit en peinant. Au premier palier, une main plaquée sur son côté droit, il s'arrête: il semble éprouver le besoin de reprendre son souffle. Inquiète, Marcia revient sur ses pas. Valérian la rassure. Un voile de tristesse et de compassion passe dans les yeux de la jeune fille. 

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Avant de la laisser partir, Valérian lui rappelle qu'un pervers qui massacre mortellement des jeunes filles erre dans la ville; il l'enjoint à la plus grande prudence et ouvre la porte du Conservatoire.  Marcia lui dépose un baiser sur les lèvres et après un dernier geste de la main, disparaît dans la nuit.

Valérian quitte alors le monde de l'onirisme pour reprendre pied dans la réalité. 

Pour lui aussi, il était temps d'effectuer les dernières vérifications et de quitter les lieux. Mais cette dernière ronde était devenue au fil des mois une véritable épreuve physique pour lui, un calvaire. 

Enfin, le dernier tour de clef et il pourrait regagner sa voiture, là-bas, sur le boulevard Carnot.

Il faisait beau, trop beau pour la saison. On se serait cru en été, alors que le printemps s'annonçait à peine. Et lui, il était là, comme une limace sur le bitume. Le CNR aurait dû être fermé à vingt et une heures; il était vingt deux heures passées... Et les quelques instants qu'il avait consacrés à Marcia n'y étaient pour rien. Depuis deux ou trois mois, il avait de plus en plus de mal à boucler son travail dans les délais et il était conscient que cela ne risquait pas de s'arranger avec le temps.  Valérian se demandait combien de temps encore son petit chef allait le garder, lui qui l'appréciait surtout quand il était loin... Que sa voiture était loin, elle aussi: à cinq cents mètres, peut-être. Un véritable périple pour lui, maintenant. Surtout à la fin de la journée.

Il n'en pouvait plus. Il fallait qu'il fasse une pause. À présent, il allait avoir l'air d'une bille. Les rares passants allaient se demander pourquoi il s'arrêtait ainsi au milieu de l'allée.

Une odeur de pluie commençait à flotter dans l'air: peut-être que la limace pourrait bientôt aller plus vite. Non, il était d'une de ces espèces de gastéropodes que l'appel de la pluie ne stimulait pas.

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Enfin, encore cinquante mètres et il y serait. " Voilà, ma chère voiture, je te touche enfin de la main. Je n'ai plus qu'à me jeter sur ton siège et à récupérer comme un marathonien après sa course." 

Ah! ces douleurs qui lui broyaient les entrailles, ces nausées... " Un de ces quatre matins, je finirai bien par cracher mon foie comme du pâté... Joyeuse perspective..., merde ! Ah! si Marcia me voyait dans cet état... Bah! Après tout, elle s'en doute et elle s'en moque. Enfin..., je crois ", songea t-il.

Plic, ploc. Le déluge. Heureusement que son train de sénateur anémié lui avait quand même permis de se mettre à temps à l'abri dans sa voiture. Il n'avait plus envie de vomir, il allait pouvoir y aller. 

- J'aime pas conduire, mais heureusement que tu es là:" Titine ", dit-il affectueusement à sa voiture, une peugeot 309 de quinze ans d'âge.

Alors que Valérian arrivait aux abords de son quartier, un ghetto d'Amiens nord à la fâcheuse réputation: Le Pigeonnier, il distingua des silhouettes qui cavalaient au pied des immeubles. On aurait dit qu'elles voulaient échapper à quelqu'un ou à quelque chose. Les lueurs d'un gyrophare apparurent. Une voiture de police, le pare-brise fendu passa en trombe. Une fois de plus, une patrouille venait de se faire caillasser, lui indiquant clairement qu'elle n'était pas la bienvenue en ces lieux contrôlés par les dealers et la vermine de tout poils que la pluie ne semblait pas rebuter. 

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C'était un de ces quartiers pourris comme il en existait tant d'autres en France, peut-être agréables à vivre autrefois, mais  que l'état avait ghettorisés en y entassant au fil des années toutes les personnes issues de l'immigration et qu'aujourd'hui: la perte d'identité, la crise économique et le chômage avaient conduit au désoeuvrement, à la violence et aux traffics en tout genre, en bref: à la délinquance. Un quartier qui changeait Valérian de la quiétude de Mers les Bains, qu'il avait quitté pour les études. Et il n'avait pas l'intention d'y passer sa vie, fut-elle courte.

Ce qui était sûr, c'est qu'une fois de plus les flics ne traîneraient pas dans le coin cette nuit et tout ce que le secteur comptait de malfrats en tout genre allait pouvoir s'en donner à coeur joie. Mais il s'en foutait. Ce n'était pas lui qui changerait le monde.

Tag(s) : #Stars Knights Legend Époque 1 LE COMMENCEMENT
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